Dans un rapport (1) publié ce mardi 17 octobre, la Cour des comptes dresse un constat inquiet du développement hasardeux de l'éolien en France et, plus particulièrement, du cadre des soutiens publics qui lui sont consacrés. D'autant que, selon les magistrats de la rue Cambon, les deux restent indissociables.
S'assurer de rattraper le retard de la France
Forts de leurs observations et des auditions menées avec les administrations concernées, les rapporteurs déplorent d'abord le retard de la France dans l'atteinte de ses objectifs nationaux en la matière. Pour rappel, avec 20,9 gigawatts (en comptant la mise en service du parc éolien en mer au large de Saint-Nazaire) à la fin de l'année 2022, la France restait en-dessous de la barre des 26,5 GW ciblés en 2023 par l'actuelle Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE2). Et, depuis 2020, c'est le seul pays européen à ne pas avoir respecté les engagements pris en matière d'énergies renouvelables dans le cadre de la directive de 2018 (dite « RED II »). À ce jour, elle doit encore, par conséquent, s'acquitter de « mégawatts statistiques », c'est-à-dire « acheter » à un autre État membre les droits sur un certain volume d'énergie renouvelable produite en excédent pour compenser son propre écart. Cette opération devrait lui coûter « au moins plusieurs centaines de millions d'euros au seul titre de l'année 2020 », souligne la Cour. Par ailleurs, la France s'expose également à d'éventuelles sanctions et, déjà, à des recours – notamment celui déposé le 21 juin devant le Conseil d'État.
D'après la Cour des comptes, ce retard provient d'une lourdeur administrative que le Gouvernement commence à peine à alléger. Il émane, d'une part, de la lenteur de déploiement des projets : en moyenne, entre sept ans pour de l'éolien terrestre et dix ans pour de l'éolien en mer. Comme s'en félicite le ministère de la Transition écologique dans un droit de réponse adressé à la Cour (2) , la procédure d'instruction des autorisations environnementales sera considérablement accélérée avec la mise en œuvre de la nouvelle loi Industrie verte et la mise en application progressive des instructions adressées ces dernières années aux services déconcentrés de l'État et aux dispositions restantes de la loi de mars 2023 pour l'accélération des énergies renouvelables (Aper ou AER). Le ministère souligne, par exemple, la réduction de la durée d'instruction des dossiers qu'apportera bientôt la mise en place des référents préfectoraux aux énergies renouvelables.
Entre opportunisme et contraintes
La Cour des comptes regrette, malgré ces efforts, le manque d'importance donnée aux « questions complexes de l'insertion paysagère des parcs et de leur impact sur la biodiversité », qui « mériteraient un investissement plus conséquent des services instructeurs ». En outre, elle observe la difficulté administrative à accompagner la mise à niveau des parcs existants – mieux connu sous le nom de « repowering ». Un arrêté en vigueur depuis 2011 interdit l'installation de nouveaux parcs éoliens terrestres à moins de 500 mètres d'une habitation. Cette même interdiction s'applique également lorsqu'un parc prédatant cet arrêté est modifié de manière « substantielle » : avec des mâts plus puissants et donc souvent plus hauts, des éoliennes supplémentaires ou un déplacement de leurs positions. D'autant que l'appréciation reste à la discrétion d'une analyse au cas par cas par l'inspection de l'environnement. La Cour recommande ainsi au Gouvernement de permettre de déroger à cette interdiction afin de généraliser davantage le « repowering » des parcs les plus anciens.
Le retard qu'accuse le développement de l'éolien en France relève, d'autre part, de dispositifs de soutien trop facilement victimes d'opportunisme. Jusqu'en avril 2022, n'importe quel projet de six éoliennes (ou moins) de trois mégawatts était éligible à une rémunération par obligation d'achat à travers un « guichet ouvert ». Offrant parfois des conditions tarifaires « supérieures à celles des appels d'offres », ce système a incité les porteurs de projet, selon la Cour, « à réduire la taille de leurs installations » et, ainsi, « à limiter le nombre de candidats aux appels d'offres », réduisant l'attractivité de ces derniers. En outre, s'ils insistent sur l'importance de la mise en concurrence permise par les appels d'offres, les rapporteurs préconisent par ailleurs de « consolider les (moyens) de captation de la rente en cas de prix de marché élevés » et d'éviter d'éventuels effets d'aubaine comme celui observé au début de l'année 2022. Avec la hausse drastique des prix de l'électricité intervenue durant l'hiver 2021-2022, puis au début de la guerre en Ukraine, un grand nombre de contrats de complément de rémunération ont été résiliés, afin de contourner le mécanisme devenu alors bénéficiaire pour l'État et, à l'inverse, de profiter d'une vente directe au prix fort. Un manque à gagner chiffré à 767 millions d'euros pour le seul premier trimestre 2022, selon la Cour des comptes.
Privilégier une planification avec pilotage
Le rapport s'étend également sur le devenir de l'éolien, en particulier sur le plan offshore. L'ambition du président de la République demeure l'installation de cinquante parcs, totalisant environ 40 GW, d'ici à l'année 2050. Pour entreprendre ce chantier pharaonique, une planification seule se révèlera insuffisante pour la Cour. La mise à jour des documents stratégiques de façade (DSF), actuellement en consultation publique, nécessaires au lancement d'appels d'offres multiprojets et « l'organisation actuelle de quelques services de l'État » sous la forme d'une « équipe projet interministérielle » apparaissent « en décalage avec cette ambition », d'après la Cour. Cette dernière sollicite des garanties de pilotage de ce chantier, contrôlées à chaque instant par un « maître des horloges », prenant pourquoi pas la forme d'une « task-force » ou d'une « société d'ouvrage » spéciale.
Dans ce même contexte, la Cour des comptes préconise également de renforcer les contrôles liés à la stabilité ou à la rentabilité des parcs. Tout d'abord, en mer, tant les derniers tarifs d'achat proposés par les porteurs de projet pourraient être « remis en cause par l'évolution du contexte économique, notamment l'augmentation du coût des matières premières et des taux d'intérêt ». Le ministère de la Transition écologique a, en réponse, signalé à la Cour qu'une mission actuellement menée par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) devrait amener à « mieux organiser et structurer » ce contrôle. À terre, ensuite, les rapporteurs estiment nécessaires la conduite d'une étude pluriannuelle des coûts et de la rentabilité des parcs – la dernière en la matière ayant été effectuée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en… 2014.