"Les consultations systématiques quelle que soit la nature du projet conduisent, au retour d'expérience, à engorger les services instructeurs et les organismes consultés", explique le ministère de la Transition écologique. C'est la raison pour laquelle le gouvernement prévoit de supprimer plusieurs de ces consultations prévues par la procédure d'autorisation environnementale. Cette procédure, mise en place en 2017, s'applique aux projets d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ainsi qu'aux aménagements relevant de la loi sur l'eau.
Cette simplification est prévue par un projet de décret que le ministère de la Transition écologique a discrètement mis en ligne le 16 avril sur une page intérieure de son site dédié aux consultations publiques. Cette consultation, qui prend fin lundi 6 mai, était passée quasiment inaperçue et ne réunissait que 21 commentaires le 4 mai. Deux jours après, c'est plus de 2.000 personnes qui ont réagi sur ce projet de texte, pourtant très technique. Sollicité par Actu-Environnement, le ministère de la Transition écologique n'a pas souhaité réagir à ce stade.
"Mise au placard"
Le texte met fin à la consultation systématique du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) au profit du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) en cas de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Le CNPN ne sera plus consulté que lorsque la dérogation concerne une des 37 espèces de vertébrés figurant sur l'arrêté du 9 juillet 1999 ou sur une nouvelle liste d'espèces animales et végétales que le texte annonce dans un nouvel arrêté ministériel. Dans une tribune publiée sur Médiapart, une vingtaine de membres du CNPN dénoncent la "mise au placard" de cette instance scientifique indépendante composée de 60 experts. Réformée en mars 2017 en vue de renforcer son expertise scientifique, cette instance a rendu des avis sur des dossiers emblématiques comme Notre-Dame-des-Landes ou le contournement de Strasbourg.
"Déjà surchargés dans leur fonctionnement actuel, les CSRPN travaillent en outre sous la double tutelle de l'État et de la Région, qui nomment les membres. Quelles seront les possibilités des CSRPN de se préserver des pressions politiques et économiques locales ?", interrogent les signataires de la tribune. Un renforcement du poids des avis du CNPN permettrait, au contraire, d'aider l'Etat à atteindre l'objectif de "zéro artificialisation nette" à l'horizon 2030, ajoutent-ils. Un objectif qui figure dans le plan biodiversité présenté par Nicolas Hulot en juillet dernier, après celui du "zéro perte nette de biodiversité" inscrit dans la loi de reconquête pour la biodiversité d'août 2016.
Florence Denier-Pasquier, vice-présidente de France Nature Environnement (FNE), dénonce de son côté "un mécanisme un peu pervers qui affaiblit le CNPN dans une boucle régressive". Même si les avis de cette instance ne sont que consultatifs, "c'est faire disparaître la preuve scientifique que le cadre légal d'un projet n'est pas respecté", estime la responsable associative. FNE a engagé une cinquantaine de contentieux en se fondant sur le non-respect de la réglementation sur les espèces protégées. La fédération d'associations de protection de l'environnement dénonce aussi une atteinte à la vision globale des espèces, la composition non homogène des CSRPN et le manque de moyens de ces instances. Quant à la liste complémentaire d'espèces protégées, "le risque existe qu'elle ne soit jamais publiée ou bien qu'elle le soit dans dix ans seulement sous la pression d'un contentieux".
Pour l'avocat Arnaud Gossement, "le transfert de compétence que prévoit le Gouvernement ne répond, ni au besoin de protection de la biodiversité, ni au besoin de simplification". Sur ce dernier point, il n'existe pas de garantie que les délais d'instruction seront raccourcis, ni que les CSRPN émettront moins d'avis défavorables que le CNPN, estime le spécialiste du droit de l'environnement.
L'ONF mis sur la touche
Le projet de texte ne se limite pas à cette modification stratégique touchant le CNPN. Il prévoit que les agences régionales de santé ne seront plus consultées qu'en cas de projet soumis à évaluation environnementale ou lorsque le préfet l'estime nécessaire. Or, d'une part, le gouvernement a l'intention de soustraire de l'évaluation environnementale un tiers des ICPE relevant du régime d'autorisation. D'autre part, "si le préfet sent qu'un dossier ne va pas dans le bon sens, il va s'empresser de ne pas saisir l'agence", ajoute Mme Denier-Pasquier.
Le texte met par ailleurs fin à la consultation du préfet de région, qui était prévue en cas de projet affectant le patrimoine archéologique, mais aussi à celle de l'Institut national de l'origine et de la qualité lorsqu'un projet d'ICPE est situé dans une commune comportant une aire de production d'un produit d'appellation d'origine. Le texte supprime aussi la consultation de l'Office national des forêts (ONF) lorsque le projet prévoit le défrichement d'un bois relevant du régime forestier. "Cette suppression est inacceptable", tonne Florence Denier-Pasquier alors que l'avis de l'établissement public est très écouté en cas de projet portant atteinte aux forêts publiques.
Il est également mis fin à la consultation de plusieurs organismes dans le cas de projets relevant de la loi sur l'eau : personne publique gestionnaire du domaine public, établissement public territorial de bassin, organisme de gestion collective des prélèvements d'eau pour l'irrigation. "On se prive de l'avis des gestionnaires de la ressource", déplore la vice-présidente de FNE. L'avis de la commission locale de l'eau est toutefois maintenu lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) approuvé. Un avis systématique est également maintenu en cas de projet impactant une réserve naturelle, un parc naturel marin ou un parc national, tient à préciser le ministère. Le texte ne revient pas non plus sur les consultations prévues en cas de projet d'éoliennes. Un sujet très sensible sur lequel un arrêté est toujours attendu.
Quant aux autres modifications prévues par la réforme (dématérialisation de la procédure, lancement plus rapide de l'enquête publique, etc.) l'objectif est "d'aller toujours plus vite", déplore Mme Denier-Pasquier. "On élargit les mailles du filet de sécurité de façon accélérée", réagit la responsable associative qui s'indigne des différents projets régressifs engagés par le gouvernement au moment même où il tient de grands discours sur la biodiversité.