Le débat national, lancé en réponse aux gilets jaunes, posera la question de la fiscalité, de son équité et de son efficacité. Jusque là, tous les gouvernements ont échoué à verdir la fiscalité. Pourtant, les experts ont averti à de nombreuses reprises.
Pour sortir de la crise des gilets jaunes, le gouvernement va lancer un grand débat national jusqu'au 1er mars 2019. Quatre thématiques ont été définies pour l'animer : la transition écologique (ou "comment mieux accompagner les Français dans leur vie quotidienne pour se loger, se déplacer, se chauffer"), la fiscalité (comment la rendre "plus juste, plus efficace, plus compétitive et plus lisible"), l'évolution de la pratique de la démocratie et de la citoyenneté et enfin l'organisation de l'Etat et des services publics.
La fiscalité, justement, est à l'origine du mouvement des gilets jaunes. Et notamment les taxes sur les carburants, accusées de plomber le pouvoir d'achat des ménages. La contribution climat énergie, pointée du doigt, n'aura finalement duré que trois ans, avant d'être suspendue par Emmanuel Macron. Auparavant, de nombreux gouvernements avaient échoué à la mettre en place… taxe poids lourds, taxe carbone… Est-il impossible de mettre en place une fiscalité écologique en France ?
Les trois errements français
Depuis le Grenelle de l'environnement, en 2007, les gouvernement successifs tentent de mettre en place une fiscalité écologique, sans grand succès. Le principe : réorienter les comportements des acteurs économiques et des ménages à partir de signaux prix et appliquer le principe du pollueur payeur. Cela passe par la mise en place de taxes ou leur durcissement (TICPE, TGAP), de subventions (bonus écologique pour les voitures, CITE) ou de suppression de subventions dommageables à l'environnement.
Mais la France a, dès le départ, pris le mauvais chemin, comme l'analysent de nombreux experts depuis des années. Tout d'abord, la fiscalité environnementale a souvent été mise en place pour apporter des ressources financières supplémentaires à l'Etat, et non pas pour accompagner la transition écologique. Ainsi, en 2014, l'un des objectifs fixé par le gouvernement Ayrault au comité pour la fiscalité écologique, tout fraichement installé, était de dégager 3 milliards de recettes supplémentaires pour l'Etat. C'est également le reproche qui est fait au sujet de la contribution climat énergie : ses revenus servent en partie à financer le crédit d'impôt compétitivité des entreprises (CICE). Rien à voir avec l'écologie…
Une politique peu évaluée
La fiscalité écologique est peu lisible en France et ses résultats ne sont pas évalués. Le comité pour l'économie verte estime qu'un rapport doit être régulièrement présenté au Parlement pour "disposer d'une vue d'ensemble sur l'évolution de cette fiscalité et ses impacts macroéconomiques, budgétaires et environnementaux". Des indicateurs de suivi devraient également être définis pour vérifier ses résultats. Enfin, "pour s'assurer de l'adhésion de tous les acteurs, il conviendrait de créer un moment annuel de concertation dédié à l'investissement et la fiscalité verte".
Deuxième problème : pour ne pas peser sur la compétitivité des entreprises et risquer des délocalisations, le choix a été fait de taxer davantage les ménages et d'exonérer de nombreux secteurs. "La fiscalité environnementale française repose en très grande partie sur les consommations énergétiques, notamment les énergies fossiles. La plus grande part de la fiscalité correspondante est ainsi acquittée par les ménages", souligne un rapport récemment remis au gouvernement. Cette injustice fiscale est pointée du doigt par les gilets jaunes.
Enfin, si l'objectif de la fiscalité verte est de réorienter les comportements, encore faut-il que les alternatives existent. C'est le principal reproche que faisait l'ex-ministre de l'Ecologique, Ségolène Royal, à l'écotaxe : sans offre de fret, cela revenait à taxer davantage un secteur déjà en souffrance…
Avoir un réel effet redistributif
D'autres pays ont pourtant réussi avec succès là où la France a échoué. La Suède, souvent citée en exemple, a mis en place une taxe carbone en 1991. Seule différence : elle a profité des revenus de cette taxe pour baisser les impôts des entreprises et des ménages. Cette neutralité fiscale ou isofiscalité est défendue depuis des années par tous les chantres de la fiscalité écologique. Sans elle, difficile voire impossible de faire accepter de nouvelles taxes. L'actualité le démontre…
Annonciateur, un rapport remis récemment au gouvernement par le comité pour l'économie verte prévenait : "La transition fiscale écologique ne pourra être réalisée que si elle est en même temps solidaire, en intégrant l'exigence de justice sociale. C'est une condition sine qua non de l'acceptabilité de la transition (…) En pratique, il apparaît aussi difficile d'en assurer l'acceptabilité si les baisses d'impôts associées génèrent des transferts trop importants entre ménages, entreprises et entre les différentes missions de l'Etat".
Les auteurs ajoutent que l'effet redistributif des recettes générées doit être analysé d'un point de vue géographique : "L'impact de la fiscalité environnementale peut être plus ou moins fort selon les territoires et causer des inégalités géographiques. Les spécificités géographiques peuvent en particulier influer sur la disponibilité et le coût des solutions alternatives, et doivent donc être prises en compte dans la stratégie globale de redistribution".
Des pistes pour une fiscalité plus juste
Plusieurs idées sont mises sur la table, depuis parfois des années, pour améliorer cette redistribution. Par exemple, l'association Amorce, qui représente les collectivités, demande à chaque nouvelle loi de finances qu'une partie des recettes de la contribution climat énergie soit reversée aux territoires engagés dans la transition écologique. De nombreux territoires à énergie positive ont montré par l'exemple qu'il était possible d'engager des actions au plus près des citoyens : alternatives à la voiture individuelle, efficacité énergétique, production d'énergie renouvelable, économie circulaire…
Pour rendre la taxe carbone plus juste, une quinzaine d'économistes et chercheurs proposent de taxer les industries les plus polluantes (1.400 sites en France). Déjà soumis aux quotas carbone, ces secteurs bénéficient soit de quotas d'émissions gratuits soit du niveau bas du prix du carbone sur le marché européen. "La multinationale Total, dix neuvième plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde entre 1988 et 2015, a ainsi reçu gratuitement 71 % des quotas de pollution dont elle avait besoin en 2017 pour ses seules raffineries françaises", écrivent les économistes dans une tribune. Et pour les autres émissions, quand les consommateurs sont taxés à la pompe à hauteur de 44,60 € la tonne de CO2, Total achète des droits à émettre entre 5 et 17 € la tonne… Cette taxe supplémentaire a déjà été expérimentée au Royaume-Uni. La France la promeut (le fameux corridor carbone), mais à l'échelle européenne… Enfin, de nombreux acteurs dénoncent les trop nombreuses exonérations existant aujourd'hui sur la taxation carbone (transport aérien, routier, maritime, pêche, agriculture…).
De vieilles idées à recycler ? La mise en place d'une tarification progressive de l'énergie ou de l'eau qui vise à appliquer un prix plus bas pour les besoins essentiels et plus haut aux surplus de consommation… Certaines collectivités testent aujourd'hui ce dispositif pour l'eau. Et pourquoi pas une TVA à taux réduit pour les produits vertueux ? L'idée était défendue par la France et le Royaume-Uni en… 2007 ! Des taux réduits sont aujourd'hui appliqués pour les équipements énergétiques vertueux. D'aucuns voulaient étendre ce dispositif aux produits de grande consommation ou mettre en place un système de bonus malus selon l'impact écologique des produits....
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Note Consulter le rapport de l'économie verte sur Comment construire la fiscalité environnementale pour le quinquennat et après 2022 ? Plus d'infos
Note Geneviève Azam (économiste), Valérie Boisvert (économiste), Christophe Bonneuil (historien), Maxime Combes (économiste, membre d'Attac), Thomas Coutrot (économiste), Cyril Dion (écrivain et réalisateur), Jean-Baptiste Fressoz (historien), Jean Gadrey (économiste), Gaël Giraud (économiste), Florence Jany-Catrice (économiste), Dominique Méda (sociologue), Dominique Plihon (économiste), Thomas Porcher (économiste), Hélène Tordjman (économiste), Aurélie Trouvé (économiste).Article publié le 20 décembre 2018